jeudi 29 avril 2010

Le Dernier Retour : MaJ

A y est, vous pouvez aller zieuter dans la liste des chapitres, le dernier du DR est fini, les quatre volets avec le petit bout de la fin en plus, les notes, et PDF-isé. Bonne lecture ^^

samedi 24 avril 2010

Chapitre II.4, quatrième tableau

La gardienne du troisième temple s’avança dans l’or épineux du Cancer, une moue dédaigneuse aux lèvres qui perçait difficilement la contrariété générale de son visage. « Vous auriez dû poursuivre votre chemin, je suis trop occupée pour m’intéresser à des vermisseaux de votre espèce, dit-elle sèchement en toisant ses deux visiteurs indésirables.

- Vermisseaux, répéta l’Essaim de la Dégénérescence… oui, c’est bien ainsi que vous nous traitiez lorsque vous veniez en visite au Tartare, Majesté. Mais ce temps là est révolu, et vous avez perdu votre titre lorsque le Sombre Monarque est tombé, Pandore. J’ai malheureusement perdu ma rancune à votre égard, mais je me souviens encore parfaitement de l’éternité pendant laquelle je l’ai éprouvée.

- Tes paroles me laissent aussi froide que la stèle à laquelle tu devrais parler. Je n’ai que faire de ta rancune, je suis Elerinna, Chevalier d’Or du Cancer, gardienne de la Bouche des Enfers et du quatrième temple du Sanctuaire.

- Elerinna, Pandore, peu importe le nom que vous vous donnez aujourd’hui. Je vais vous montrer la différence de pouvoir entre une âme déchue et un Lémure. Je suis l’Essaim de la Dégénérescence, second de l’Escadron des Fléaux, et…

- Et tu parles trop. Seki Shi Ki Meikai Ha ! »

Le cosmos doré ne scintilla qu’un instant sous leurs pieds, rapidement remplacé par la noirceur de l’espace où ils s’élevèrent ensemble jusqu’entre les pinces du Cancer. Là les attendait la multitude scintillante du Praesepe, la crèche des âmes, froide et fascinante, qui les attira à elle, les enveloppant de lumières qui ne rendaient que plus profondes les ténèbres entre elles.

L’effet ne fut toutefois pas celui escompté, si tant est qu’il y en eût un. Lorsque les murs du temple réapparurent, les adversaires du Sanctuaire étaient encore debout. « Désopilant, fit l’Essaim de la Dégénérescence. J’en rirais si quoi que ce soit pouvait m’amuser encore. Faire chuter un Lémure dans le Yomotsu Hirasaka, nous qui l’avons tous au moins déjà par deux fois traversé. Quelle déception… Vous étiez infiniment plus redoutable lorsque vous serviez Hadès. Peut-être souhaitez-vous que je vous envoie rejoindre votre ancien royaume où vous pourriez espérer recouvrer votre ancienne puissance… Malheureusement cela n’arrivera pas. L’Essaim de la Dégénérescence ne vise pas la mort, mais la naissance d’un autre essaim. Je ne vais pas vous priver de votre existence, Pandore, seulement vous en offrir une nouvelle, la même que le Non-Mort m’a offert… Grubs’s Feast ! »

Elerinna regarda sans ciller le nuage de particules noires fondre sur elle pour l’envelopper. Elle ne chercha pas à l’éviter, pas plus qu’elle ne chancela lorsque les mouches de cosmos se glissèrent entre son armure et sa chair. Elle les chassa d’un revers de main dédaigneux, et l’aura scabreuse s’évapora dans l’or des Saints. « Laisse-moi te dire une chose » annonça la Chevalier du Cancer au Lémure, que la surprise de son inefficacité avait fait reculer. « Je suis l’incarnation même de la vie alors que tu n’en es qu’une pâle caricature. Le cosmos que tu développes ne peut m’atteindre, et par conséquent, tes techniques aussi redoutables qu’elles te paraissent n’ont aucun effet sur moi.

- L’incarnation de la vie… » susurra la Liche sous le voile de sa capuche, depuis l’ombre de la colonne d’où elle avait observé l’affrontement sans chercher à intervenir. « C’est donc cela la marque sur ton front.

- Cette étoile ? » releva le Lémure en désignant le pentacle argenté, à peine visible sur la peau laiteuse de la gardienne.

« Un sceau de plus, pour capturer la vie. Pandore est bel et bien morte lors de la dernière Guerre Sainte. Ce n’est que son corps qui se tient debout ici, sa dépouille à laquelle une autre âme défunte à été liée. Pandore était trop proche du Léthé lors de la désagrégation des Enfers, son esprit s’est perdu définitivement dans l’oubli, il n’aurait pu avoir été ramené. Ce n’est qu’une marionnette à qui l’on a ordonné de vivre, tant que demeurera cet ordre, tes coups l’atteindront peut-être mais resteront sans effet. Tant que le sceau restera intact. » La Liche s’avança. Sa cape s’ouvrit, soulevée comme une aile sombre par la puissance ténébreuse qui se mit à suinter de tout son être, révélant une Alcarinquë à l’apparence d’un corps décharné. « Ce à quoi je peux facilement remédier. Réplica ! Revocation ! » A nouveau naquit un contre-sceau, luisant d’une noirceur hypnotique, qui lentement, inexorablement, vient se plaquer sur le front d’Elerinna.

« Vous lassez une patience que de surcroit je ne peux me permettre » grinça la Chevalier d’Or, sans s’inquiéter outre-mesure de la marque que venait de lui imposer la Liche. « Alors…

- Alors il est temps de mettre un terme à tes soucis et de te faire connaître le repos d’une existence de servitude ! » grinça l’Essaim de la Dégénérescence, gonflé de l’assurance qu’il n’existait aucun pouvoir que sa maîtresse ne pût dissiper. « Grubs’s Feast ! lança-t-il à nouveau.

- Greatest Caution ! » Elerinna avait écarté les bras, déclenchant l’éruption d’une sphère d’or parcourue d’éclairs indigos. Terrible arcane d’un Juge des Enfers porté par le cosmos d’un Gardien du Sanctuaire. Cette énergie là ravageait toutes les existences. Le temple du Cancer était intact lorsqu’elle se dissipa, mais totalement purifié, car pas une mouche de l’Essaim de la Dégénérescence n’avait été épargnée. Du corps même du Lémure, rien ne subsista…

« Misérables déchets… siffla Elerinna. Celui qui vous a ramené aurait été bien inspiré de vous redonner aussi un semblant de raison. Oser supposer pouvoir annuler un sceau tracé de la main même de Perséphone… Inepte.

- Fear. »

Le mot résonna de façon horrible au sein même de son esprit. La Chevalier d’Or vacilla, prise de nausées, assaillie de tremblements incontrôlables alors que son cœur s’affolait dans sa poitrine. Elle s’écroula à genoux, mains au sol, sa nuque trempée d’une sueur glaciale, le regard voilé par un filet de sang qui dégoulinait lentement par-dessus ses paupières. « Comment… est-ce possible… hoqueta-telle.

- Tant de certitude, et tant d’aveuglement, ricana la Liche en s’avançant devant elle. Tu étais tellement convaincue de mon erreur que tu as négligé l’évidence. Le pouvoir de l’Impératrice des Enfers est absolu, mais ta chair est éphémère. Ce sceau que je ne pouvais contrer, je n’ai eu qu’à le rompre en entaillant la peau sur laquelle il a été imprimé. Tu n’avais qu’à protéger ton front, et moi qu’à te convaincre que je n’allais pas l’attaquer de cette façon.

- Tu ne peux pas t’être suffisamment approchée pour m’avoir atteinte ainsi, l’arcane de Rhadamanthe t’aurait réduite à néant !

- Tu as été touchée par l’ombre de l’Essaim de la Dégénérescence, et là où passent les ombres ma main passe aussi. Je suis Deldùwath, la Liche de la Pestilence, reine des fléaux et de la corruption. Mes doigts sont lambeaux, ma voix est désespoir. Tu as laissé les deux te toucher, qui que tu sois, qui que tu fusses, désormais tu m’appartiens. »

Elerinna réduisit en miette une dalle de marbre en la frappant du poing. Elle se raidit, reprit le contrôle de sa respiration saccadée, et parvint à se redresser pour faire face à son adversaire. « Tu rêves ! assura-t-elle d’une voix qui se raffermissait de seconde en seconde. En brisant la marque de Perséphone, tu m’as retiré sa protection mais tu m’as fait redevenir totalement humaine. Et si les hommes connaissent la peur, ils peuvent aussi la combattre ! Et je reste une Chevalier d’Or !

- D’or ? s’esclaffa la Liche. regarde ton cosmos, il est déjà atteint.

- Tu as trop l’habitude des êtres faibles, tu ne me feras pas renoncer aussi facilement, pas plus que tu ne pourras me faire oublier que le cosmos est… » Elerinna ne termina pas sa phrase. Horrifiée, elle fixait les particules macabres qui constellaient l’aura qu’elle venait d’invoquer.

« Eternel ? reprit la Liche, le sourire de ses lèvres desséchées découvrant ses dents jaunies. C’est effectivement le cas, mais pas celui des êtres qui l’utilisent. Ce n’est pas LE cosmos qui change, c’est le tien, avec ta capacité à le ressentir. Bientôt l’or te sera interdit. Bientôt, ton aura sera tout à fait comme la mienne. » Deldùwath leva les bras et répandit l’ignominie. Son cosmos boursouffla, éclata en un nuage de petites formes noires et ailées, dont la nuée semblait porter une forme plus vaste. « Tu es… à moi ! cingla la Liche. Soul’s Plague. »

Elerinna aurait voulu hurler mais elle en fut incapable. La terreur. Si absolue qu’on la subit sans assez de conscience pour la combattre. Elle ne pouvait qu’agiter désespérément les bras, essayant vainement de chasser les projections qui volaient autour d’elle, se regroupant par instants pour fondre et la traverser de part en part avant de l’assaillir à nouveau. Et à chaque fois son esprit s’abîmait davantage, l’éloignant de ce corps qui remuait comme un pantin désarticulé…

« Ocean’s Anger ! »

La Liche de la Pestilence entendit l’invocation à l’instant où tomba sa victime nue, privée de l’armure du Cancer qui avait fini par quitter l’hôte qui lui était devenue étrangère. Le temple avait disparut, Deldùwath baignait dans un maelstrom de colère océane, dont les déferlantes incessantes ne s’écartèrent que pour laisser passer de terribles mâchoires.

Peu à peu le marbre émergea de l’écume, mais le calme ne fit pas même semblant de vouloir revenir apaiser les lieux. La bouche d’Elerinna, dont le regard vide trahissait l’abandon de son corps inerte, s’ouvrit et laissa s’échapper un filet de fumée nauséabonde qui s’épaissit jusqu’à former un nuage de noirceur crasse. Il se raffermit lentement, s’épancha de turpitude, et Deldùwath releva sa face pustulée, son Alcarinquë vierge de tout impact. « C’était… tout à fait déplaisant, grinça-t-elle en fixant la nuque de la nouvelle arrivante. Ce corps n’était pas assez corrompu pour faire un hôte convenable. Un corps que tu as cependant tout fait pour épargner, décidément, les Chevaliers d’Or semblent doués pour commettre les plus fatales des erreurs.

- Tout le monde peut se tromper… une fois, répondit l’intéressée en levant un doigt sans se retourner. Comme tu viens de le faire en me prenant pour une Chevalier d’Or. Ta première erreur. A la seconde tu perdras toute chance de remporter le combat. A la troisième, tu mourras.

- J’approuve, et en suivant ton propre compte tu as d’ores et déjà perdu. Tu aurais dû me faire face pendant que je reprenais forme.

- Cela m’aurait obligée à supporter ton haleine fétide. Tu pues autant que le cadavre d’une baleine échouée.

- De l’assurance, constata Deldùwath en ricanant. Beaucoup d’assurance. J’aime ça. Sais-tu pourquoi ? Parce qu’il n’y a rien qui corrompt plus les hommes que leur volonté à fuir leur peur la plus profonde. Et que ce sont les êtres les plus forts qui cachent les peurs les plus oppressantes. La connais-tu seulement, Ta peur ? Auquel cas je peux te la révéler, il n’est rien de plus aisé pour moi… » La Liche se pencha par-dessus l’épaulière épineuse, approchant ses lèvres sordides de la chevelure de jais. « Fear… » murmura-t-elle.

Le chemin vers les peurs, Deldùwath ne connaissait que ça. Mais là où elles auraient dû se trouver dans l’esprit que sondait la Liche, il n’était nul besoin d’apporter les ténèbres. Dans ce coin reculé de la conscience de son adversaire, il n’y avait rien, qu’un grand gouffre sombre et glacial, percé de deux lueurs rouges, sauvages. Des yeux qui ne recélaient pas la peur mais la faisaient naître. Deldùwath recula précipitamment.

« C’est tout ? demanda la jeune femme en levant un second doigt. Sache que la seule et unique peur d’un dragon n’a jamais été que de ne pas pouvoir sauver un être cher. Et le seul être qui m’est cher n’aura jamais besoin d’être sauvé. » Elle se retourna, et les ombres du temple de Cancer s’égayèrent de lumières océanes. « Je suis Earramë le Dragon des Mers, sœur du Léviathan. » Elle leva le troisième doigt. « Et tu es restée trop près de mes mâchoires pour savoir ce que j’avais dans le cœur ! Atlantic’s Heart ! »

Des lames de fond s’élevèrent brutalement, entourant la Liche, la coupant de toute retraite. La première attaque était venue de front, celle-là l’environnait de toute part. Les vagues de cosmos s’abattirent sur elle telles des murs aqueux, se fracassant encore et encore, chaque assaut la projetant avec une violence accrue à la rencontre du suivant.

Le cœur de l’Atlantique pulsait infatigable, bouillonnant de la colère d’Earramë. Au-delà de son déferlement, le corps inerte de celle qui était tombée en défendant son temple l’accusait du secours trop tardif pour avoir été salvateur qu’elle avait voulu lui porter. Mais au milieu de la tourmente, la Liche refusait de se laisser définitivement emporter. Deldùwath réapparut. Elle tendait à bout de bras vers la Commandant de l’Atlantique Nord un disque noir où évitaient de se refléter les embruns déchaînés. Les flots continuaient de s’abattre sur elle, arrachant les dernières parcelles de son Alcarinquë, brisant et rebrisant ses membres, purifiant sa chair morte qui fumait en se dissolvant peu à peu.

« Je meurs pour la deuxième fois, lâcha-t-elle en tirant la langue dans un rictus dément. Mais je ne partirai pas sans te faire un dernier cadeau, femme sans peur… Tu vas crever salope ! Crever de toutes les peurs dont je me suis nourrie auparavant ! Dead Souls’s Mirror ! »

Earramë puisa les dernières ressources en elle pour monter à son paroxysme la puissance qu’elle avait libérée. Mais les vagues refusèrent de s’interposer devant le disque noir. La Liche s’évaporait, mais une terreur sans nom continuait d’avancer à la rencontre du Dragon des Mers, alors que lointaine, s’élevait la musique d’un orgue macabre…

lundi 28 décembre 2009

Chapitre II.4, troisième tableau

Vadim poussa sur ses mains pour se relever. Ses bras tremblaient de ce simple effort qui n’aurait pas dû en être un. La traction sur ses côtes lorsqu’il parvint à se remettre sur ses pieds lui arracha un grognement de douleur, de même que son soupir de dépit, provoqué par la chute d’un gros morceau de sa mauvaise armure qui se détacha de son flan pour tomber sur le sol spongieux. Le constat avait tout d’alarmant : au moins trois côtes brisées, et les perforations laissées par les crocs qui avaient manqué de peu lui arracher la moitié de la cage thoracique. Sans Nachi, il aurait été depuis longtemps mis en pièce par le Lémure. Etrangement il ne s’en souciait aucunement. Auprès du Loup d’Airain, il avait découvert ce qu’il n’avait jamais ressenti lorsqu’il partageait le sort des autres Chevaliers Noirs : l’instinct de la meute. Mourir ou survivre n’avait pas d’importance tant qu’au moins un membre de la meute pouvait poursuivre sa route.

Le Loup Noir ressembla ses forces pour invoquer une nouvelle fois son cosmos. Se concentrer encore, toujours plus, plus vite, ou plus fort, peu importait. Le Warg Affamé était un adversaire monstrueux. Jusque là, ses interventions l’avaient à peine gêné. C’était tout juste assez pour permettre à Nachi de rester dans la course. Le Chevalier d’Athéna était lui aussi dépassé. Il parvenait à faire jeu égal en rapidité, mais le Lémure était beaucoup plus puissant, et il paraissait infatigable. Les deux hommes peinaient à entretenir l’indécision de l’affrontement, et l’essoufflement ainsi que les blessures accumulées menaçaient, plus dangereusement à chaque seconde écoulée, que l’un deux reçût le coup fatal qui scellerait aussi immanquablement le sort de l’autre. Ils ne pouvaient espérer l’emporter ainsi. A moins que Vadim ne forçât le Lémure à se soucier davantage de lui.

L’instinct de la meute, la conscience commune de ce qu’éprouve chaque individu qui la compose… Nachi était encore sur la trajectoire lorsque Vadim, invoqua son arcane, sa soif de sang, sa sauvagerie débridée, cette pulsion implacable qu’il avait découvert pour la première fois quelques semaines plus tôt seulement pour venger la mort de Chadeck en égorgeant l’Ours Noir. Le Thirst’s Black Jaws déferla, porté par une énergie qui n’avait vraiment rien d’anodin…

Ça n’allait pas marcher. Parce que ça ne pouvait pas marcher. Nachi le savait pertinemment. Se servir du recul occasionné par les frappes terribles du Lémure pour se laisser tomber sur le dos, le regarder passer par-dessus lui, s’offrir une ouverture vers son ventre… C’était parfaitement faisable, mais sans espoir. Le Warg Affamé ne se protègerait pas, aucune chance. Il lui meurtrirait peut-être l’abdomen, mais dans le même temps le Lémure lui arracherait la tête. Sans même avoir été blessé sérieusement. Sauf si le Loup d’Airain lui assénait un coup autrement plus puissant que ceux qu’il lui avait destinés jusque là, s’il prenait un instant pour l’invoquer, un instant durant lequel sa gorge serait mise en charpie. Un mouvement sans espoir. Qu’il entama malgré tout, peut-être parce d’espoir il n’en avait de toute façon pas entrevu une étincelle depuis le début du combat. Peut-être parce qu’il venait de perdre brutalement la perception du cosmos de Calacirya, suivant de peu l’extinction de celui d’Ayanima, et qu’à défaut de la peine que lui interdisait l’adrénaline il ne lui restait qu’à tomber dans la folie aveugle. Ou encore parce que l’instinct de la meute lui avait soufflé quelque chose qui court-circuita sa conscience pour faire vibrer directement ses fibres nerveuses.

Le masque carnassier de la mort noire aux babines sanglantes à quelques centimètres de son visage. L’explosion d’énergie derrière lui, et le flux intense de cosmos qui fusa juste au-dessus de son crâne alors qu’il tombait en arrière. Le picotement dans ses poings et la dilatation de ses pupilles alors qu’il puisait dans sa force intérieure plus rapidement qu’il ne l’avait jamais fait. Et la frénésie du Ginger Moon’s Call.

Tous les instincts ne sont pas bons à suivre. Celui qui incita le Warg Affamé, qui se jetait sur le Loup d’Airain à terre, à lever la tête vers la sensation de menace imminente qui fondait sur lui, cet instinct là était véritablement de mauvais conseil. Car se redressant ainsi, au lieu du sommet du casque de son Alcarinquë, ce fut son visage, son cou, et le haut de son torse qu’il offrit au déferlement de Vadim. Et comme le Lémure était percuté en pleine face par la décharge d’énergie, les mains de Nachi devinrent floues en atteignant une vitesse que son propre œil était incapable de suivre, assénant une pléthore de coups d’une violence inouïe au corps à bout portant de leur adversaire. Le Warg Affamé vola au travers des arbres dans un déluge de bois mort.

Ce n’était pas fini pour autant, cela le Loup Noir et le Loup d’Airain ne le savaient que trop bien. Ils avaient flairé depuis longtemps la volonté farouche qui animait le Lémure. Une volonté qui égalait la leur. Celui-là ne se battait pas pour protéger un être cher, ni un idéal, pas mêmes sa propre existence. Il ne voulait rien prouver, pas plus qu’il n’avait quelque chose à gagner. Et cependant, quelque chose l’habitait qui dépassait la simple envie de tuer. Quelque chose qui le poussait déjà à se relever et à se ruer sur les Loups avant même qu’il ne se fût écrasé au sol.

Vadim bouillonnait. Il avait senti l’énergie de son coup se mêler un instant à l’aura de Nachi lorsqu’elle était passée au travers. Et il avait senti l’Appel de la Lune Rousse. Son sang s’était accéléré dans chacune de ses veines. Ses sens s’étaient affinés, et il percevait l’odeur de la bête blessée. Tout comme il sentait la tension avide de Nachi. Côte à côte, les deux hommes se ramassèrent sur eux-mêmes, leurs mains rasant l’herbe, dans une même attitude animale. Semblables dans leurs silhouettes autant que dans le cosmos qui pulsait autour de chacun d’eux. Rien ne vivait dans la Toungouska hormis ceux qui s’affrontaient, mais aux abords du territoire, des dizaines de museaux s’élevèrent pour lancer un hurlement à la nuit slave. « Fangs of Pack’s Union ! » crièrent le Loup d’Airain et le Loup Noir en s’élançant ensemble. Une attaque non concertée, non travaillée, le simple élan de deux combattants dans une parfaite unisson. Babines retroussées, tous crocs dehors. Des loups de cosmos assaillirent le Warg Affamé, le percutèrent, le traversèrent de part en part, devançant le terme de sa chute, le projetant toujours plus loin au milieu d’éclaboussures d’un sang noirâtre.

Nachi et Vadim étaient à bout de souffle. Cassés en deux, leurs mains étreignant leurs genoux, ils tentaient de retrouver leur rythme respiratoire, en regardant la large trouée dans la forêt au bout de laquelle devait se trouver le corps inerte du Lémure. « Alors c’est ça… articula péniblement le Loup Noir. C’est ça… être Chevalier… d’Athéna ? Ensemble… mêmes souffrances… mêmes espoirs… ?

- Idéalement, répondit Nachi avec à peine moins de difficultés. Ça arrive. Parfois. » Le Loup d’Airain, malgré l’épuisement, était étrangement serein. Cette communion qu’il venait de partager avec le Loup Noir, il ne l’avait éprouvée qu’une seule fois avant ce jour, lorsqu’il avait protégé Seika de Thanatos avec ses frères. Les choses étaient légèrement différentes aujourd’hui. Cette communion, il en était indubitablement l’initiateur. C’était lui qui avait tiré Vadim à son niveau. Il avait grandi. Pour la première fois peut-être, il ressentait une certaine fierté qu’il savait légitime. Il méritait son rang. Et il avait confiance. Leur adversaire était terrifiant, sa puissance largement supérieure à la sienne, telle un Chevalier d’Or pour un Chevalier de Bronze. Mais en dépit de cela, il en viendrait à bout. Ils le vaincraient, c’était une certitude, et son cosmos, allégé des doutes qui l’avaient si longtemps restreint, son cosmos s’élevait de lui-même, libéré du carcan d’un esprit trop faible. Il se redressa de toute sa hauteur et fit un pas en avant. « Peux-tu faire quelque chose pour moi, mon ami ? »

Vadim ne répondit pas. Il avait les yeux fixés sur le dos de son partenaire, droit comme une colonne d’airain, et sur le halo qui pulsait sur un rythme lent autour de lui, violacé, laissant s’épanouir par intermittence un nimbe doré.

« Tu vas initier un mouvement jusque là inusité pour les défenseurs du Sanctuaire. Le retour en arrière. Les cosmos d’Ayanima et de Calacirya sont presque éteints. Presque. La Chevelure de Bérénice a été formée par Andromède, elle ne franchira pas comme ça les portes de Perséphone. Et les hurlements des loups portent jusqu’aux sentiers de morts. Alors va les rejoindre, et ramène-les. Changez-moi l’Huorn en un tas de bûches et je ferai une pelisse du Warg. »

Vadim hocha la tête, il n’y avait rien à répondre. Contrairement à lui, Nachi était moins loup que chevalier à présent. Et un chevalier pouvait réussir à tuer la bête que deux animaux avaient à peine réussi à contenir. Le Loup Noir n’avait plus rien à faire là, le chef de meute avait distancé ses congénères. Il fit volte-face, et se précipita entre les mâchoires béantes qui se refermèrent sur lui avant qu’il ait seulement eu conscience de leur présence. « Bloody Shadow’s Fangs ! » Vadim entendit à peine le rugissement alors qu’il tombait dans le néant… « Vadim !!! » Il perçut à peine le cri de Nachi alors qu’au fond des ténèbres un océan de sang accueillait sa chute. Puis plus rien.

Le Lémure fit rouler du pied le corps de sa victime, révélant sa cage thoracique béant sur des organes perforés de part en part. De toutes les têtes vaguement lupines qui parsemaient la noirceur de son Alcarinquë irradiait un regard écarlate. Tout comme dans la profonde noirceur de son aura éclataient ça et là des bulles sanglantes. « Vous m’avez blessé, rauqua-t-il à l’intention de Nachi que l’horreur de son impuissance avait pétrifié sur place. La Vieille Nuit s’est penchée sur moi, elle est venue me rappeler ce qui m’attendait… » Le Warg Affamé s’ébroua, et des goûtes de sa peur atteignirent le Loup d’Airain, qui ne put se défendre de reculer tant était affreuse la perspective qu’il pût exister quelque chose capable d’inspirer un tel sentiment au Lémure. La bête reniflait, chacune de ses inspirations était plus profonde que la précédente, à chaque fois l’ombre de son aura s’enflait plus largement, et à chaque fois les cloques cramoisies éclataient plus nombreuses.

Inexplicablement, un sourire naquit sur les lèvres du Loup d’Airain. Ses pieds glissèrent sur la mousse, il écarta lentement les jambes, leva les bras, se campant dans une position combative qui pouvait aussi bien se refermer en une défense hermétique qu’être annonciatrice d’une attaque fulgurante. « Tu as un gros problème, sale clébard galeux, dit-il calmement. Je ne crains plus de ne pas être à la hauteur. Je n’ai plus peur de perdre. Tu as eu tort de t’en prendre à Vadim, il ne méritait pas de finir de la sorte. Alors je vais t’éliminer. Froidement. Parce qu’un être nuisible de ton espèce ne mérite même pas ma colère.

- M’éliminer ? gronda le Warg Affamé. Et comment espères-tu tuer un mort ? Je suis un Lémure ! Un gardien de la Vieille Nuit ! Et je vais lui offrir ta dépouille ! Carcharoth’s Insanity !!!

- Les hurlements des loups portent jusqu’aux sentiers des morts, répéta Nachi avec une conviction sans appel. Golden Eyed Wolf’s Howling. »

Deux crues d’énergies se levèrent l’une contre l’autre. La première avait l’apparence d’une bête monstrueuse d’un autre âge, au pelage de néant et au regard flamboyant d’une folie écarlate, la seconde d’un loup indigo aux yeux d’or dont le hurlement déchira l’air vers les crocs noirs qui se précipitaient sur lui. L’Alcarinquë du Warg Affamé fut lacérée de toute part par la morsure du vent sauvage qui la taillada impitoyablement jusqu’à la chair morte du Lémure. Mais la férocité qui s’était levée ne semblait pas pouvoir être arrêtée. En dépit de la puissance atteinte par Nachi, les mâchoires de la bête enfoncèrent le hurlement du Loup d’Airain pour déchiqueter sa poitrine.

Ce fut l’odeur qui ramena à la conscience le Chevalier d’Athéna. Une odeur de mort. Une puanteur infecte qui parvint à lui soulever l’estomac en dépit de la douleur intolérable qui lui vrillait la poitrine. Il ne vit d’abord que l’herbe calcinée par l’affrontement. Puis la flaque noire et poisseuse qui grossissait en coulant vers ses narines. Le sang du Lémure. Celui-ci se tenait juste au-dessus de lui, comme un nécrophage au-dessus d’une charogne. Plus sombre que le ciel nocturne sur lequel il se découpait. De sa protection saccagée coulait intarissable le fluide nauséabond qui alimentait son semblant de vie. Le Warg Affamé n’aurait pas dû pouvoir se tenir debout. Il l’était pourtant, dégageant la même férocité qu’aux premiers instants de leur rencontre. Comme s’il ne pouvait connaître que deux seuls états, animé ou inerte, comme si la force qui l’habitait ne pouvait être amoindrie par le déclin de son corps.

C’était loin d’être le cas pour Nachi. Ses limites, ils les avaient dépassées, mais il en avait atteint de nouvelles. Et celles-là se révélaient infranchissables. Un nouvel échec, plus intolérable que tous ceux qu’il avait déjà subi. Car cette fois ce n’était pas sa volonté qui lui faisait défaut. Il voulait se lever malgré sa douleur, il voulait combattre malgré sa faiblesse. Mais son corps, lui, ne voulait simplement pas répondre. Une légende se désagrégeait et le confrontait impitoyablement à son impuissance : si la volonté permettait d’accomplir des miracles, il fallait de la force pour s’en servir de levier et soulever des montagnes. La volonté seule était inutile, et de force, Nachi n’en avait plus aucune.

Il se retrouva debout pourtant, le Lémure l’avait saisi, broyant le col de son armure en le forçant à se redresser sur ses pieds. Le Warg Affamé le huma, de si près que le Loup d’Airain put sentir les lèvres exsangues frôler son cou. « Je voulais offrir ta tête à la Vieille Nuit, gargouilla la bête alors qu’un flot noirâtre s’échappait de sa bouche. Mais à présent il y a pire pour toi. Tu entends ? Le silence… ta défaite… »

En fait de silence, Nachi avait la tête pleines des cris de douleur de ses os brisés, ses chairs déchirées, qu’il faisait tout pour ne pas écouter. Mais les mots du Lémure l’écartèrent de ces plaintes muettes, le forçant à reprendre conscience de son environnement depuis longtemps étréci aux limites de son corps. Le Lémure disait vrai : le silence régnait autour d’eux. Les percussions, les litanies impies qu’ils avaient poursuivies dans la Toungouska jusqu’à se qu’ils fussent intercepté par l’Huorn Aigri avaient disparu.

« Oui, c’est fini, sanctionna implacable le Warg Affamé en voyant la compréhension passer dans les yeux du protecteur d’Athéna. Ta défaite était déjà consommée avant l’issue de ce combat. Le rituel est terminé, Ithaqua est libre désormais. Tu vas rester ainsi, debout, incapable de faire un geste, et tu seras le premier à être englouti par l’avidité du Wendigo… »


Un rire retentit comme un jappement entre les arbres. Nachi l’aperçut par-dessus l’épaule du Lémure qui avait fait volte-face, ravivant les rivières de sang noir qui coulaient partout où les crocs d’airain avaient transpercé son Alcarinquë : un loup bleu aux yeux d’or, assis négligemment, une jambe ballante, sur le tronc d’un arbre mort à demi couché.

« Tu veux parler de la danse de ces déchets en fourrure ? railla l’intrus d’un voix rauque, animale. Tu n’aurais pas dû leur faire confiance… Indignes d’êtres hommes, encore moins d’être bêtes… ils méritaient tout juste la peine que je me suis donnée à les égorger. Ce silence, c’est juste celui de la terre qui se repait de leur sang.

- Tu as brisé le rituel ? » gronda le Lémure alors que sur son poitrail s’écartaient les mâchoires de la gueule la plus monstrueuse ornant son armure, celle d’une créature mi fauve mi canine, démesurée de férocité. Son aura s’épancha brutalement, noire comme son sang, saturée de bouillonnements écarlates pareils à son regard démoniaque.

« Ce n’est plus ton souci, grinça le loup bleu. Wolf’s Cruelty Fangs ! »

Nachi ouvrit désespérément la bouche mais aucun son n’arriva jusqu’à sa gorge. Il aurait fallu le prévenir cet allié inespéré sur l’identité duquel il n’avait même pas la force de s’interroger… Le prévenir que l’horreur cosmique du Warg Affamé ne pouvait être vaincue de front, le prévenir qu’une armure d’or n’aurait pas protégé de ces crocs là, le prévenir que l’instinct du Lémure au corps à corps… Mais en même temps qu’il ressentait toute la détresse de son impuissance, le Loup d’Airain fut saisi par un grand froid qui l’envahit par chacune de ses blessures. Son esprit s’éclaircit, se réveilla l’instinct de la meute, rattrapant ce qui avait été trop rapide pour ses sens engourdis… le saphir bleu, les yeux et les crocs d’or, ces piétinements si agiles, si véloces qu’il était presque impossible de croire à un homme seul, et cet obstination impitoyable, ce harcèlement incessant, la pluie de coups qui suivit le premier arcane trop franc pour avoir été autre chose qu’une diversion, et l’aura immaculée, cinglante, qui bien qu’au plus fort de la frénésie parvenait à préparer un nouveau jaillissement… « Nothern Wolf Pack’s Bite ! »

Il n’aurait pu dire combien de temps s’était écoulé lorsqu’il revint à lui. Il ne vit d’abord que le ciel nocturne, et les étoiles dont toute malignité avait déserté le scintillement. Quelque chose d’incroyablement doux tomba sur sa joue, et fondit, sensation éphémère, immédiatement éclipsée par les élancements de son corps meurtri. Dans un effort terrible, il tira sur sa nuque pour basculer sa tête en arrière. Il le revit alors, silhouette bleue dans la nuit, crinière argentée, regard rouge débarrassé de sa visière… « Lève-toi ! le tança sèchement le Guerrier Divin. Si les dragons se relèvent tant qu’il y a quelqu’un à sauver il n’est pas question qu’un loup reste à terre ! »

mercredi 23 décembre 2009

Les Tourmentés : MaJ

Le quatrième volet des Tourmentés a rejoint son recueil, rendez-vous dans la section concernée, et joyeux noël à toutes et tous ^^.

samedi 5 décembre 2009

Chapitre II.4, second tableau



« Est-ce la peur qui racornit tes burnes de taurillon, ou les grandes gens des terres ensoleillées ont-ils si peu de fougue qu’ils tolèrent le viol de leur demeure ? » La voix grondante et méprisante du Baphomet rebondit longuement entre les innombrables colonnes du temple du Taureau avant de s’estomper, sans rien récolter du jeune colosse campé au milieu de la grande salle. Andram ne bronchait pas, et ne bougea pas davantage lorsque l’ancien roi des Dvergar fit faire un moulinet à son labrys, projetant un courant d’air cinglant comme une lame qui vint percuter les bras croisés sur la poitrine du Chevalier d’Or. Durin esquissa un sourire dans sa barbe de rouille, d’acier et d’argent, en reposant son arme en travers de ses épaules. Il fallait un bon adversaire pour faire un bon combat, et celui-là paraissait meilleur qu’à première vue. Les grands costauds dans son genre se révélaient trop souvent décevants. Puissants certes, mais avec des veines trop longues pour que leur sang parvînt à irriguer en même temps leurs poings et leur cervelle. Les Nains n’avaient pas ce problème, pas même Durin qui était l’un des plus grands d’entre eux. Il était aussi fort que le plus fort des géants, tout en ayant la tête assez près du sol pour ne pas risquer de voir sa raison s’envoler sous le coup de l’excitation. Même en cet instant où son lourd manteau en plumes de corbeau se soulevait, gonflé par l’envie d’en découdre. Son Alcarinquë, vibrait, tintait presque du souvenir du marteau qui l’avait forgée dans l’attente des chocs plus graves qu’elle était destinée à encaisser.

Mais l’affrontement se faisait attendre. De guerre lasse, Durin déplaça à nouveau sa hache pour la planter devant lui, callée entre ses cuisses, avant de sortir une pierre à affûter pour commencer à la passer et la repasser avec application sur le double tranchant. Une caresse, presque sensuelle, bien loin de ce que l’on pouvait attendre de ces doigts boudinés. Dramborleg se mit à chanter sous les soins de son maître, d’une vibration cristalline qui prouvait si besoin était à quel point son fil était aigu malgré l’impressionnante lourdeur qu’elle dégageait par ailleurs.

« Bel ouvrage » concéda placidement Andram qui ne semblait pas décidé à profiter de la situation pour lancer son assaut.

« Onc n’en a vu de pareil depuis la chute des Dvergar, renifla Durin sans interrompre son geste. S’il est quelque orgueil dans le port de ta coquille d’or, il fera long feu sous l’acier forgé en Nidavellir.

- De l’orgueil ? répéta Andram comme s’il se posait sincèrement la question. Non, je ne crois pas. Je ne suis que le Taureau de cette ère, ni le dernier, ni le premier. J’en retire de la satisfaction, mais pas de fierté il me semble.

- Décidément, l’indigence de ces temps me révulse la tripaille. Quelle médiocrité que le cœur qui n’éprouve aucune fierté pour la charge qui lui a échu.

- Je ne trouve pas, rétorqua le Taureau se départir de sa placidité. Je n’ai pas changé pour devenir chevalier. Je suis le même qu’avant, je n’ai pas forcé ma nature. Je ne vois pas en quoi je devrais me féliciter de faire aujourd’hui, et ce dont j’avais envie, et ce dont j’étais capable. » Andram décroisa ses bras pour poser une main sous son menton, l’autre sur sa nuque, et faire craquer ses cervicales. « Et puis jusqu’à aujourd’hui, on ne peut pas dire que j’ai eu à faire quoi que ce soit pour m’illustrer dans mes fonctions.

- Un jour pour la gloire, ou un jour pour la déchéance. Ta chance est venue taurillon, mais quel peu d’empressement tu montres à la saisir. Cependant, je ne saurais te blâmer pour ne point avoir trop d’espoir.

- Je ne sais pas, vous ne paraissez pas non plus particulièrement pressé de m’attaquer.

- Toi moins encore alors que je foule ton seuil, alors que ceux qui m’accompagnaient l’ont déjà dépassé.

- Je n’ai pas à m’en faire du moment que vous ne passez pas. Je ne vais pas me précipiter alors que le temps joue pour moi.

- Le temps est une catin qui s’offre inconsidérément à ceux qui la convoite. Peut-être ne le crains-tu pas mais le temps est également mon allié.

- Vraiment ? » Un sourire plus enjoué rehaussa la bonhommie d’Andram, dont les yeux vairons se voilèrent un instant pour aller chercher la confirmation de ce qu’il venait de ressentir. « Il n’en a pas l’air. Vos acolytes viennent seulement de franchir le temple des Gémeaux, et vous pouvez manifestement en compter déjà deux de moins.

- Je n’en ferais point gloriole à ta place, deux Lémures pour un Chevalier d’Or…

- Et vous feriez erreur, Eressëa n’est pas au Sanctuaire, le temple des Gémeaux était vide.

- Vide ? répéta le Baphomet surpris en levant un sourcil broussailleux.

- Si le pouvoir d’un chevalier absent suffit à venir à bout des vôtres, cette petite incursion tournera court d’ici peu. La seule menace ici c’est vous, il me suffit de patienter un peu et tout le Sanctuaire sera bientôt en mesure de se consacrer pleinement à votre petite personne.

- Ce qui ne serait que plus promptement advenu si nous étions demeurés ensemble. Patiente donc si cela t’agrée, plus longtemps se balancent les haches des Dvergar, plus lourds sont les coups qu’ils portent lorsque leur heure est venue… »

Le Chevalier du Taureau haussa un sourcil en se massant la nuque au travers de ses boucles cendrées. Il avait une vision très simple des choses et hésitait rarement dans sa conduite au point qu’il n’avait jamais réellement l’impression d’avoir à faire un choix. Aussi se sentait-il un peu déconcerté quand un manque de visibilité l’amenait à tergiverser. Les choses auraient dû être claires en la situation présente. L’adversaire était connu, ses hommes de main également. Les péripéties du Sagittaire à Asgard avaient prouvé que les Lémures étaient des adversaires dangereux, mais parfaitement négociables pour peu qu’on ne les mésestimât. Andram aurait dû se sentir tranquille. Sauf que certains des intérêts du Baphomet semblaient coïncider avec les leurs, et ça, c’était difficilement acceptable. Le Chevalier du Taureau connaissait toutefois un moyen très simple de se sortir d’un questionnement existentiel… « Pourquoi tenez-vous à ce que votre tentative d’invasion n’avorte que le plus tard possible alors que vous semblez en avoir accepté l’échec ? » : demander la réponse au principal intéressé.

« Alors toi tu ne manques pas de souffle ! s’exclama le Baphomet avec un grand éclat de rire. Compterais-tu réellement sur moi pour éclairer ta lanterne ?

- Je ne perds rien à demander en tout cas.

- Pas moins que je ne gagnerais à te répondre.

- Dans le cadre d’un enjeu peut-être ? »

Songeur, le Dvergr fourragea dan sa barbe tressée pour se gratter le menton. « Un pari ? Si je venais à être défait ta question n’aurait plus lieu d’être, et mort tu ne pourrais plus entendre la réponse.

- Une charge, une seule, proposa Andram en levant un doigt. Celui qui tombe a perdu. Si vous tombez vous répondez, si je tombe je vous laisse passer et je ne chercherai pas à vous rattraper. »

Après un instant de réflexion, Durin s’avança lentement pour venir se planter tête levée sous les naseaux du Taureau. Derrière les lunettes de son casque cornu luisaient d’excitation ses yeux aux iris de feu et aux pupilles de glace. « Tu es plus redoutable que tu en as l’air, Taureau. Mettre aussi simplement le doigt sur une de mes faiblesses… »

Eris se mit à pleurer à chaudes larmes. Cela arrivait souvent lorsque deux hommes qui avaient tout ce qu’il fallait pour s’étriper se serraient la main, et se la relâchaient sans avoir cherché à tirer avantage de cette emprise. Ils reculèrent, Durin jusqu’à l’orée et Andram jusqu’à l’issue du temple du Taureau.

Le Baphomet fléchit sur sa jambe avant comme s’il était sur le point de s’élancer, tout le poids de son corps porté au-devant de lui, seulement maintenu dans un équilibre précaire par le poids de son arme qu’il tendait en arrière à bout de bras. Un air glacial gonfla les plumes noires de son manteau en les recouvrant de givre, des runes d’argent s’illuminèrent sur chacune des parties de son armure, et le cimier de son casque s’embrasa en une langue de flammes bleues. Une pulsation sourde envahit le temple, pareille aux échos d’une forge lointaine où de lourds marteaux s’abattaient inlassablement sur d’impressionnantes enclumes.

Un autre son lui répondit. Un grondement à peine audible, celui de la pression croissante d’une famille de geysers sur le point d’être expulsés par des naseaux frémissants d’impatience. Andram avait posé ses deux mains sur les dalles de son temple, la corne unique de son casque pointant devant lui dans la promesse d’une charge furieuse. Le cosmos doré bouillonnait autour de lui et éclatait en grosses bulles gorgées d’énergie. Ce ne fut pas un taureau qui apparut au cœur de son aura, mais un troupeau entier dont tous les sabots raclaient le marbre.

« Serait-ce de la joie qui fait luire ainsi tes prunelles ? s’enquit Durin alors que les siennes scintillaient d’un égal contentement.

- C’en est, admit volontiers Andram. C’est la première fois que je vais pouvoir utiliser cet arcane au maximum de sa puissance, sans me retenir en prévision d’une éventuelle contre-attaque. Je sais que vous ne chercherez pas à l’esquiver.

- Quel être peut agir de façon aussi téméraire et pouvoir se targuer d’un esprit aussi lucide… Non jeune taurillon, quoi que me laisser déborder jusqu’à ce que tu offres ton flanc à ma hache soit assurément la meilleure stratégie à employer, je t’affronterai de face ainsi que tu l’espères. Mais content, ne le soit pas, car dès lors que j’ai accepté ton défi, la seule alternative qu’il me reste est d’arrêter ta charge en te pourfendant le crâne.

- Tout comme je ne peux espérer vous faire tomber sans vous encorner.

- Que l’un soit et que l’autre ne soit plus. Viens au roi des Dvergar, Taureau ! Dramborleg’s Sentence !!

- Frappe, Durin ! Pulvérisons l’incertitude et décidons d’un vainqueur ! Release of Géryon’s Wealth !! »

La déflagration était grave trop pour être perçue par une oreille humaine sans qu’elle y laissât son tympan. Au reste, aucune n’était sur la trajectoire de l’onde de choc qui se propagea perpendiculairement à la charge du Baphomet et du Chevalier d’Or. Elle atomisa silencieusement les murs latéraux du temple du Taureau pour survoler l’île du Sanctuaire et aller se perdre loin au-dessus de la Méditerranée. Mais si les personnes présentes sur la Colline Sacrée demeurèrent sourdes à l’impact, elles n’auraient pu manquer le tremblement naissant de la montagne ébranlée à sa base, ni l’embrasement de la seconde maison qui déchira la nuit d’une colonne de lumière montant jusqu’aux astres.



« Et un de moins, ricana l’un des cinq Lémures qui s’étaient arrêtés sur le perron derrière le temples des Gémeaux. Tout compte fait, il se pourrait que l’utilité de ce foutu nain ne se limitait pas à la création des Alcarinquë.

- Sûr, renifla un second. D’un coup je me sens un peu moins réticent d’avoir à servir un être aussi court sur pattes. Le Baphomet n’est rien face à Lucifer ou Moloch, mais il vient de prouver…

- Prouver ? Souvenir d’homme, mauvais esprit, qu’est-ce que le Baphomet pourrait bien avoir à prouver à ton insignifiance ? » Les cinq Lémures rentrèrent la tête entre leurs épaules, trop soumis pour seulement regretter de l’être. Celle qui les menait, encapuchonnée de son manteau ténébreux, ne souffrait pas la contestation. Son vouloir était leur volonté, ses décisions leur avenir. Peut-être était-ce là ce qu’en avait décidé Bélial lorsqu’il l’avait éveillée elle ainsi que ses trois semblables pour les diriger. A ceux-là seulement le Non-Mort avait rendu leurs noms ainsi que leurs émotions, alors que les cœurs des Lémures étaient demeurés froids, se contentant de battre pour irriguer leurs nouveaux corps sans jamais ralentir ni accélérer leurs pulsations. Ou bien n’était-ce pas le pouvoir du Non-Mort mais la raison pour laquelle il les avait choisi, eux les quatre Liches, les faiseurs de peur, capables de saisir jusqu’au vide des Lémures…

« Ce n’est pas fini, déclara la Liche. La hache du Baphomet est encore levée. Nous ne l’attendrons pas. Poursuivez, ainsi l’a-t-il ordonné, et ne vous retournez plus, ainsi je l’ordonne. »

Le cadavre de la quiétude libéra une nouvelle nuée de miasmes. Bourdonnante. Nauséeuse. Le calcaire des marches dégoulinait d’immondice, d’une traînée cosmique qui transportait moins la vastitude de l’univers que la poisse crasse de son apostasie.

L’ignoble attendait l’ignoble. Le temple du Cancer et ses hautes portes noires, que les Lémures, y trouvant peut-être quelque vague familiarité dans leur aspect sinistre, se donnèrent la peine de pousser sans les réduire en miettes. Ils dépassèrent la dalle scellée de l’étoile à cinq branches, pénétrèrent au plus profond de l’intimité du temple sans avoir rencontré plus d’opposition que celle de l’oppressant silence. La sortie était devant eux, au terme du couloir qui s’ouvrait sous le gigantesque orgue d’ébène et d’argent.

« Personne ici non plus, ricana l’un des Lémures. Et cette fois pas moyen de se perdre en route.

- Probablement pas » dit la Liche qui gardait l’ombre de sa capuche levée vers les visages hurlant silencieusement sur les tubes de l’orgue. « Et pourtant… Toi reste avec moi, vous quatre partez devant vous offrir la peau du Lion. Les ombres ici sont trop épaisses pour que rien ne s’en soit enveloppé. Allez. »

Le dernier Lémure à souiller le temple du Cancer sourit sous son casque, une laideur de grisaille chargée de quatre énormes yeux noirs aux multiples facettes. Sa mentonnière s’écarta en quatre mandibules métalliques qui s’entrechoquèrent en une série de petits claquements avides. « Vous savez qu’ils n’iront pas plus loin n’est-ce pas ? Je dirais qu’ils ne tiendront même pas aussi longtemps que ceux qui sont tombés à Asgard. Trois d’entre eux au moins. Mais peut-être que ce sera malgré tout suffisant pour que le Caladre Corrompu en tire avantage… J’ai été surpris que vous m’ayez choisi plutôt que lui pour vous assister ici, je sais que ses talents ont votre préférence parmi tous ceux de l’Armée des Fléaux.

- Il ne t’appartient pas de me juger, Lémure, répondit sèchement la Liche. Ni mes actes ni mes choix. Vous n’êtes rien, seulement des moyens mis à ma disposition pour que je parvienne à mes fins. Sers-moi car ton existence n’a pas d’autre but. On dit que nulle charogne en puissance n’échappe à l’Essaim de la Dégénérescence, c’est le moment de le prouver.

- Ne vous en faites pas pour ça. Lémure je suis, Lémure je ne resterai pas. Je vous servirai si bien que Bélial me rendra mon nom. Et alors ce sera à vous de trembler devant moi. » Le cosmos jaillit de son corps en sombres particules bourdonnantes. A chaque seconde plus nombreuses, elles s’envolèrent pour saturer l’air de leur vibration insidieuse. Les mouches de cosmos explorèrent les moindres recoins du temple, avant d’intensifier leur vrombissement strident en se regroupant au-dessus de la dalle scellée. « Là » fit laconiquement l’Essaim de la Dégénérescence en pointant l’endroit du doigt.

« Bien, acquiesça la Liche. Prouvons à cet impudent que ceux qui ont brisé les geôles du Tartare n’ont que faire de l’ancienne marque d’Hadès. » De longs doigts blafards aux ongles noirs et acérés sortirent de l’ombre du manteau pour esquisser une série de signes rapides. « Replica. » Une étoile à cinq branches enfermée dans un cercle apparut au-dessus de la dalle, un sceau de ténèbres en parfaite reproduction du sceau d’argent. « Revocation. » La marque invoquée descendit se plaquer à celle incrustée dans la pierre. Et la lumière trembla, luttant contre les ombres, jusqu’à ce qu’un voile doré apparût et se soulevât pour dissoudre le conflit.

L’Essaim de la Dégénérescence croisa les bras et inclina la tête de coté en observant l’apparition. « Vous, lâcha-t-il finalement. Et dans une armure d’or. Voila bien ce qu’il y a de pire à être devenu Lémure, impossible de savourer cet instant comme il se doit. Mais c’est l’intention qui compte après tout, sachez que si j’étais capable de la moindre émotion, j’exulterais de vous retrouver ainsi, Majesté Pandore. »


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vendredi 27 novembre 2009

Chapitre II.4, premier tableau



Le Sanctuaire Marin n’était pas un lieu totalement féérique, loin s’en fallait. Chacune de ses régions recélait un lieu de désolation, comme l’incohésion des Bermudes dans l’Atlantique Nord, ou le gouffre de Charybde dans Pacifique Sud. Mais aucun n’était plus lugubre que les Lits des Noyés, ce cimetière fangeux de l’Atlantique Sud, quelques part dans les profondeurs sous le pot-au-noir. Aucune route maritime ne passait par là, et aucun Marina ne s’en approchait jamais. L’auraient-ils voulu qu’ils en auraient été incapables. On ne pouvait se rendre aux Lits de Noyés, on ne pouvait que s’y perdre, à moins d’y avoir été appelé par l’Ange des Noyés en personne, et c’était un appel que chacun priait pour ne jamais entendre. Même eux s’y étaient rendus à contre cœur, et pourtant sans délais, car ils savaient que des deux demeures où siégeait Mar-nu-Falmar, de ces champs funèbres et de la pyramide de corail rose, l’une était pareille à son visage et l’autre semblable à son âme.

Ainsi était venu Rauros de Scylla, six fois craint et une fois déploré, au beau visage albuginé et androgyne paré de longues boucles de jais, dans son écaille d’or blanc rehaussé de malachites, des flans de laquelle jaillissaient les gueules de serpentine de ses molosses.

Angfauglir de Céto avait investi les lieux de sa masse énorme et adipeuse, sa face turgide fendue par son éternel rictus carnassier, engoncé dans son écaille d’or gris, de citrine et de nacre comme un cachalot carapacé de plaques épineuses et boursoufflées.

Et sans le masque micronésien qui couvrait ordinairement sa face ichtyoïde, ses yeux globuleux, ses oreilles aussi collées que des ouïes, sa bouche charnue et étirée, exsangue et muqueux d’une façon qui laissait bien peu espérer que l’or rouge serti de cyanites et de viridines pût en faire oublier la laideur ne fût-ce qu’un instant, Dagnir de Dagon les avait rejoints, empreint du dégoût qu’éprouvait immanquablement quiconque s’aventurant dans les limbes brumeuses du Pacifique Nord.

Avec une patience inégalement supportée, tous trois attendaient en le fixant que l’Ange des Noyés voulût bien leur exposer les raisons de son appel. La suffisance de l’atlante avait beau les exaspérer, ils ne se seraient jamais aventurés à la contrarier. Mar-nu-Falmar était l’homme lige de l’Amiral Sorrent et celui par qui les écailles qui les protégeaient avaient retrouvé leur gloire d’antan. Commandant tout comme eux, entre tous ses secrets il avait su garder celui de sa puissance, et nul n’aurait pu se targuer de savoir jusqu’où celle-ci s’étendait. Rauros faisait frémir par son apparente douceur à la mesure de la cruauté dont on le savait pouvoir faire preuve, Angfauglir était craint pour sa force brute, et Dagnir pour l’étrange laideur de son cosmos qui s’accordait de façon si dérangeante avec celle de son repoussant visage. Mar-nu-Falmar, lui, l’était pour le mystère qui l’entourait, et cette appréhension là ne pouvait se raisonner.

L’Ange des Noyés finit par détourner son regard du vaste champ d’algues constellé de dépressions fangeuses qui exhalaient un vague relent de putrescence. « Poséidon ne bougera pas, affirma-t-il aux trois Commandants. » Le ton était aussi désenchanté qu’écœuré, et un miroitement blafard passait sur son écaille séraphique.

L’imposant Commandant de l’Océan Indien lâcha un gargouillement atrabilaire avant de laisser échapper sa hargne. « Pas bouger ? Comment il pourrait pas bouger ?! Athéna chez nous, avec une poignée de trouffions, et la moitié de moules, ça se rate pas une occasion comme ça !

- Le fait est… siffla l’inquiétant et séduisant Rauros de sa voix singulièrement suave et chuintante. Pourquoi l’Ebranleur du Sol laisserait passer la chance de mener à bien la guerre qu’il n’avait pu qu’incomplètement diriger il y a quinze ans ? Parce que c’est Athéna qui l’a libéré pour mendier son aide ?

- Et après ? gronda de nouveau Angfauglir. Parce qu’elle est conne faudrait plus y toucher ? Moi je dis si la chouette tourne bécasse c’est une raison en plus qu’il faut l’embrocher et la passer au saloir ! »

Mar-nu-Falmar posa un regard dédaigneux sur le Commandant de l’Océan Indien. La force brute de Céto en faisait un allié qu’il valait mieux ménager, mais les manières grossières d’Angfauglir ne manquaient jamais de froisser d’une façon détestable le raffinement de l’atlante. « Et cependant il en est ainsi, reprit-il en ravalant son mépris. A cause d’un détail que vous ignorez : Julian Solo, l’hôte humain de l’Empereur des Océans pour cette génération, n’est plus.

- Mort ? releva surpris le Commandant du Pacifique Sud. Voilà qui est inattendu… Même assoupie, la volonté de l’Ebranleur du Sol aurait dû protéger son avatar humain. Cette mort ne peut pas être le fait du hasard.

- Sans aucun doute » acquiesça l’Ange des Noyés qui supportait infiniment mieux l’intelligence de l’envoûtant Rauros que la rudesse obtuse d’Angfauglir. « Julian Solo n’a pu qu’être assassiné, et certainement pas par un être inconsistant. Soit Athéna a jugé plus sage de se débarrasser de l’enveloppe charnelle de Poséidon, soit un fou a pris quelques précautions en prévoyant effectivement de s’introduire dans le Sanctuaire Marin.

- Et c’est pour entendre ça qu’on s’est fait gardien des poiscailles… maugréa l’héritier de Céto. Pas reluisant le Vieux de la Mer s’il ose même pas empaler une pucelle sur son propre terrain.
- Les Dieux sont limités par leur nature, répliqua sèchement Mar-nu-Falmar. Pour agir au-delà de l’élément qui leur a été attribué ils doivent se réincarner et s’approprier le libre arbitre des humains. Sans corps, Poséidon en est réduit à jouer avec la température de l’eau et l’amplitude des marrées. Même si la situation nous est favorable, l’Ebranleur du Sol ne pourrait en profiter, à moins d’avoirs recours à son corps originel.

- Et alors où est le problème ? grogna de nouveau Angfauglir.

- Il ne le fera pas, professa Rauros, devançant l’Ange des Noyés dont il ne connaissait que trop bien les limites de la patience. Encore moins depuis la disparition d’Hadès. Poséidon a déjà encaissé de nombreuses défaites, une chance qu’il laisse s’échapper ne lui importera pas beaucoup plus. En revanche il craint de disparaître, comme tous les Dieux. Si un jour il a recours à son corps originel, ce sera lors d’une guerre définitive qu’il aura planifiée longtemps à l’avance. Certainement pas à l’improviste pour profiter de circonstances favorables. Athéna a beau être à sa portée, il ne lèvera pas la main sur elle.

- Lui non, intervint sobrement l’inquiétant Dagnir. »

Les autres Commandants se retournèrent vers l’héritier de Dagon. De lui ils savaient presque aussi peu de choses que de Mar-nu-Falmar, sinon que l’affronter revenait à mettre en jeu sa santé mentale presque plus encore que physique. Hormis l’Amiral Sorrent et l’Ange des Noyés, personne d’étranger au Pacifique Nord ne s’était jamais aventuré au cœur de ses limbes. Les Marinas de l’Arctique et du Pacifique Sud se gardaient bien d’en dépasser les frontières. Quelques égarés s’y étaient perdus, quelques uns en étaient revenus, mais ils y avaient laissé leur raison. Jusqu’à Achab et Ned Land, les deux Capitaines sous les ordres directs de Dagnir, qui tout en passant pour des combattants valeureux avaient également la réputation de ne plus être totalement sains d’esprit.

Debout dans la fange abyssale où il s’enfonçait jusqu’aux chevilles sans dégoût apparent, Dagnir se tenait au bord d’une des grandes marres d’algues qui formaient les Lits des Noyés, et il contemplait avec une attention malsaine les visages, à peine visibles au travers du fucus vésiculeux, des cadavres que l’océan avait refusé de rendre à la terre. Les émanations virides se reflétaient sur sa face de mérou dépigmentée, et les bourrelets de son cou pulsaient au rythme lent d’une étrange exaltation difficilement contenue. « La tempérance de Poséidon ne devrait pas suffire à garantir la sécurité d’Athéna en ces lieux, reprit il en laissant échapper l’un des gargouillis qui lui tenait lieu de rire.

- Quoi, on devrait… réagit Angfauglir qui connaissait régulièrement quelques éclairs de lucidité lorsqu’il était question d’un mauvais coup en puissance.

- Précisément, acquiesça Mar-nu-Falmar. En agissant seuls nous dédouanerions Poséidon de toute responsabilité. Athéna ne pourra le lui reprocher.

- L’Amiral… commença Rauros avec une moue dubitative.

- Sorrent est les yeux, les oreilles et la voix de Poséidon, l’interrompit l’Ange des Noyés. Ce qu’il fait engage directement la responsabilité du Dieux des Océans. Si nous le lui demandons, il n’aurait d’autre choix que de nous refuser son accord. Et Bauglir du Kraken lui est dévoué corps et âme, l’engager à nous rejoindre équivaudrait à impliquer Sorrent.

- Et le Léviathan ? s’enquit Rauros. Son absence ici signifierait-elle que lui aussi vous compteriez le tenir à l’écart ? A moins que vous n’ayez déjà partagé vos projets avec votre disciple préféré ?

- Ëarendil n’est pas sûr. »

Une vague de perplexité glissa sur les Lits des Noyés. L’héritier de Scylla se tourna vers le sud, scrutant l’horizon de son regard émeraude comme s’il avait pu le prolonger jusqu’à l’Antarctique et scruter son chaos de glaces et d’abîmes, jusqu’à la haute tour de basalte qui servait de repère à la bête reptilienne, plus bardée d’épines, de griffes et de crocs que nulle autre créature océanique, et dont tous s’employaient à entretenir la quiétude. Tel était le pouvoir du Léviathan dont personne pourtant n’avait jamais provoqué le courroux, mais dont tous connaissait néanmoins l’ampleur destructrice, car c’était une appréhension qu’ils portaient en eux de la même façon que leur allégeance à l’Ebranleur du Sol. Une emprise que Rauros avait longuement enviée avant d’acquérir une prestance similaire, celle des êtres qui n’ont pas à exhiber leur excellence pour asseoir leur ascendance. Scylla était ainsi également. On ne pouvait lui faire face et surveiller en même temps ses flans. Sa menace était imprévisible, assujettie à la Volonté de Scylla à qui seule appartenait le choix de l’instant où cristalliser les craintes. Et plus que tous les précédents gardiens du Pacifique Sud, le beau, l’intelligent Rauros savait se montrer judicieux dans ses décisions.

Lentement, il écarta une boucle d’un noir brillant qui avait occulté son regard, en reportant celui-ci sur l’Ange des Noyés. « Je ne suis pas certain de comprendre. En quoi ne serait-il pas sûr le Commandant de l’Antarctique, celui que vous avez formé vous-même, le plus puissant des serviteurs de Poséidon selon vous ? Le Léviathan est le Cerbère des océans, il ne sait que mordre ceux qui l’approchent et lécher les doigts de son maître, les vôtres en l’occurrence. Il écoutera ce que vous avez envie qu’il entende. Je suis même persuadé qu’il aurait tué Solo si vous lui aviez dit que c’était dans l’intérêt de Poséidon.

- Ce cher Rauros, sourit Mar-nu-Falmar, toujours à se laisser emporter par son imagination. Non mon ami, le décès de Julian Solo est bien antérieur à la venue d’Athéna, il s’en faut de deux ans, et ni moi ni Ëarendil n’y sommes pour quelque chose. Mais il y a du vrai dans tes paroles, le Comandant de l’Antarctique tuerait n’importe qui aveuglément. » Le visage si beau et délicat de l’atlante se crispa, et les rides haineuses altérèrent tant sa grâce naturelle qu’il en devint un instant aussi repoussant que l’héritier de Dagon. Celait n’arrivait jamais que rarement, fugitivement, mais c’était assez pour rappeler à tous ceux qui en aurait douté que sa délicate apparence n’était qu’un très incomplet reflet de sa personnalité. « N’importe qui, reprit-il en ayant maîtrisé sa colère intérieure, sauf sa propre sœur. Et c’est là ce qui nous coûte son appui. Ëarendil n’est pas sûr parce qu’Ëarramë n’est pas fiable. Trop indépendante, trop fouinarde, trop circonspecte… La Commandant de l’Atlantique Nord ne suit pas un ordre sans le juger, et si elle considérait nos projets comme contraires à son devoir, elle n’hésiterait pas à s’opposer à nous.

- Qu’elle essaie ! rugit Angfauglir en levant un poing embrasé de son cosmos ambré. Elle fera pas long feu la dragone, je pourrais lui briser l’échine entre deux doigts !

- Oh tu le pourrais certainement… susurra Rauros, si tu ne claquais pas des dents à l’idée de ce que tu subirais en retour entre les mâchoires du Léviathan… »

Le colossal Commandant de l’Océan Indien bondit vers Scylla dans un hurlement sauvage pour lui arracher la tête. Il ne s’immobilisa qu’à la dernière seconde, ses mains sur le cou de l’androgyne, qui pourtant n’avait pas bronché ni même cessé de sourire. Rauros savait reconnaître le geste inachevé avant même qu’il ait débuté. Rauros savait tout. Angfauglir écarta les mains en éclatant d’un rire pervers et guttural. « J’ai pas peur de lui ! Céto n’a peur de personne, et certainement pas de cet iguane léthargique !

- Alors Ëarramë doit mourir, trancha Dagnir.

- Répète-moi ça ? demanda calmement le Commandant de Scylla.

- Si Ëarramë meurt au Sanctuaire ou de la main d’un des leurs, s’expliqua le Commandant de Dagon, alors la bête des abysses ouvrira la gueule et rien ne pourra l’empêcher de faire un carnage. Cette guerre que Poséidon ne peut déclencher, qui nous ferait passer pour des traîtres si nous la menions sans son accord, cette guerre arrivera malgré tout, et ce sera la vengeance du Léviathan.

- Tu condamnerais l’un des sept Commandants de Poséidon pour en jeter un autre dans la folie ? reprit l’androgyne, dont l’éternel sang froid faisait douter du moindre étonnement qui aurait pu motiver ses questions.

- Nous n’aurions qu’à le soutenir comme le feraient de véritables frères d’armes, et Poséidon n’y serait pour rien. Il restera neutre, et Athéna tombera malgré tout… »

La sentence fut saluée d’un lent applaudissement. « J’ai toujours su quel être fourbe et machiavélique se cachait sous les écailles de Dagon, déclara Mar-nu-Falmar. Ta laideur n’est rien comparée à la perfidie de ton cœur, Dagnir, si tant est que tu en aies un. Et c’est bien ainsi, car les véritables serviteurs de l’Ebranleur du Sol n’ont que faire de la droiture quand elle ne leur permet pas de s’élever au-dessus du statut dans lequel ils végètent depuis des siècles. Ton avis est celui que nous suivrons : Ëarramë doit être sacrifiée sur l’autel de Poséidon.

- Mouais, renifla Angfauglir… Enfin aux dernières nouvelles Sorrent l’avait pas envoyée au Sanctuaire la dragone ? J’aurais rien contre lui ouvrir le bide, mais le faire là-bas et en douce, c’est pas gagné.

- Fiez-vous à moi, gloussa gravement Dagnir. Les jours de la Commandant de l’Atlantique Nord sont comptés, je ferai ce qu’il faut pour ça.

- Nous fier à toi ? releva le protégé de Scylla. Certes non. Mais je ferai une exception pour ce qui est de fomenter un assassinat. Pour ça je pense effectivement pouvoir te faire confiance. »

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dimanche 12 juillet 2009

Yeee Ha, fini !


Bon non pas tout à fait fini, mais le plus gros morceau est fait quand même. Je viens de terminer de transférer la totalité des chapitres de l'acte I sur le blog, épilogue compris. Tous proprement représentés au format pdf, et avec des notes re-complétées, principalement sur les éléments de mythologies diverses que j'avais empruntés ça et là sans soucis des connaissances du lecteur.

Enfin, il reste d'autres petites choses à faire passer ici, mais c'est moins important, je vais pouvoir respirer un peu et sortir de mon antre passer dire bonjours aux personnes que j'ai délaissées depuis deux semaines ^^...